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Les hommes regardent-ils vraiment les autres femmes ?

La question de savoir si les hommes en couple jettent des regards sur les autres femmes est un sujet qui fait débat. Certains pensent que c’est naturel et inoffensif, tandis que d’autres y voient la manifestation d’un manque de respect et d’engagement de la part des hommes.

La théorie féministe du male gaze

Selon la théorie féministe du « male gaze » (regard masculin), notre perspective sur les femmes dans les médias, la publicité, l’art et la société en général serait fortement influencée par le point de vue hétérosexuel masculin. Cette vision aurait tendance à sexualiser le corps de la femme et à la présenter comme un objet de désir.

La philosophe Laura Mulvey a développé ce concept dans les années 1970 pour critiquer l’objectivation des femmes au cinéma et dans la culture populaire, uniquement pour satisfaire le regard et les fantasmes des hommes hétérosexuels. Depuis, le terme de « male gaze » s’est étendu à d’autres domaines.

La publicité

Une étude de l’Université de Buffalo en 2013 a analysé les publicités dans 50 magazines populaires sur une période de 30 ans. Les résultats montrent que les femmes sont 4 fois plus sexualisées et objectivées dans les publicités aujourd’hui qu’elles ne l’étaient dans les années 1980. Près de 50% des publicités représentant des femmes les montrent de manière sexualisée.

Les médias

D’après une méta-analyse de Rebecca Collins en 2011 regroupant 138 études, seulement 5 à 32% des personnages féminins des séries TV ont des discussions sur le travail ou la politique. En revanche, 29 à 56% des personnages masculins en discutent. Au lieu de cela, les femmes sont plus souvent dépeintes dans un contexte romantique ou familial.

Ces représentations stéréotypées des rôles genrés participent à l’objectivation systémique des femmes.

Pourquoi les hommes regardent-ils les autres femmes ?

Les explications biologiques

Certains experts mettent en avant des raisons évolutionnaires et biologiques. Le cerveau masculin serait programmé pour chercher des partenaires sexuels et reproduire leurs gênes avec le maximum de femmes. Ainsi, voir une femme attirante activerait des mécanismes de plaisir et de récompense.

Cependant, des études en neurosciences nuancent ce postulat. Bien que des zones cérébrales liées à la récompense s’activent en voyant un corps dénudé, homme ou femme, elles ne s’activent pas en voyant un visage attirant. Cela suggère que le mécanisme de plaisir visuel n’est pas spécifique au corps féminin et remet en cause l’explication évolutionniste.

Le conditionnement culturel

D’autres experts dénoncent ces théories biologiques comme étant réductrices. Ils expliquent ces comportements par un conditionnement socioculturel, qui apprend et valorise la domination masculine et l’objectivation des femmes dès le plus jeune âge.

Une étude canadienne de 2012 a montré par exemple que les mères font plus de commentaires sur l’apparence de leurs filles que de leurs fils dès l’âge de 6 ans. Or, cette valorisation précoce de l’image corporelle est nocive pour l’estime de soi des filles une fois adultes.

Ce conditionnement expliquerait que les femmes participent tout autant au phénomène de « girl gaze » (regard féminin) en critiquant l’apparence d’autres femmes.

Les conséquences psychologiques chez la femme

Même si beaucoup d’hommes considèrent que regarder les autres femmes est anodin, cela peut avoir des conséquences psychologiques profondes chez leur partenaire. Les femmes peuvent se sentir rabaissées, manquer de confiance en elles, ou avoir l’impression de ne pas être respectées ou valorisées.

Des études en psychologie sociale ont montré que la sexualisation constante des femmes dans les médias et la publicité renforce l’auto-objectivation. Les femmes ont ainsi tendance à se percevoir elles-mêmes comme des objets sexualisés, pour le plaisir des hommes.

Ceci mène à des comportements néfastes comme la surveillance excessive de son propre corps. Les femmes contrôlent et critiquent constamment leur apparence physique. Cela génère honte et anxiété, avec des conséquences psychologiques désastreuses sur l’estime de soi.

Quelques chiffres

  • Selon une étude de l’Université Penn State en 2011, les femmes qui s’auto-objectivent ont 2 fois plus de chances de souffrir de troubles alimentaires.
  • D’après l’American Psychological Association en 2007, la sexualisation des filles est directement liée à l’augmentation des cas de dépression, de troubles alimentaires et de problèmes d’estime de soi chez les jeunes femmes.
  • Une étude de 2011 a montré que les jeunes femmes qui se sentent sexualisées par les médias ont 25% plus de chances de souffrir de dépression.

Tous les hommes agissent-ils de la sorte ?

Bien que le phénomène soit répandu dans notre société, il ne concernerait pas tous les hommes. Certains individus, qu’ils soient en couple ou célibataires, font effectivement attention à ne pas regarder ni objectifier les femmes de manière irrespectueuse.

Le degré d’engagement et de respect envers leur partenaire diffère d’une personne à l’autre. L’orientation sexuelle est aussi un facteur : un homme homosexuel en couple avec un homme peut difficilement objectifier des femmes.

Il est donc excessif d’affirmer que tous les hommes adoptent ce « male gaze ». Les expériences et perspectives individuelles varient énormément d’un individu à l’autre, en fonction de nombreux facteurs psychologiques et culturels.

Et les femmes dans tout ça ?

La question du « female gaze » (regard féminin) est également pertinente. De nombreuses femmes admettent en effet observer et sexualiser les hommes, que ce soit dans la rue, les médias et même la pornographie.

Même si les conséquences psychologiques sont moindres compte tenu du conditionnement sociétal, cela montre que les femmes ne sont pas exemptes de tout reproche. Beaucoup critiquent ouvertement le physique de belles actrices ou mannequins également.

Cependant, la fréquence et les motivations diffèrent entre les sexes. D’après une étude de l’Université de Nebraska en 2017, les hommes auraient tendance à sexualiser les femmes automatiquement, alors que les femmes le feraient de manière plus contextuelle et moins fréquente.

Les avis des principaux concernés

Que pensent les hommes et les femmes de ce débat sur le « male gaze » ? Diverses opinions ressortent des témoignages.

La position masculine

Si beaucoup d’hommes admettent « jeter un coup d’oeil » de temps en temps sur les autres femmes, même en étant en couple, d’autres démentent et affirment qu’ils n’en ressentent pas le besoin ou l’envie.

« Je suis 100% investi et épanoui dans mon couple, je n’ai pas de raison de regarder ailleurs » témoigne Marc, 28 ans. « Ma copine est la plus belle à mes yeux, je ne vois qu’elle ! »

Certains hommes en couple expliquent也 faire des efforts. « C’est dur de lutter contre ses instincts, mais par respect pour ma femme, j’essaie de ne pas trop mâter » admet Julien, 31 ans.

La position féminine

Du côté des femmes, les avis divergent aussi. Certaines se disent extrêmement blessées par le comportement de leur conjoint. « J’ai surpris mon mec en train de mater une fille en jupe, j’étais anéantie, j’ai cru qu’il ne m’aimait plus » raconte Manon, 29 ans.

D’autres relativisent voire approuvent. « C’est normal que mon homme regarde d’autres femmes, du moment que ça ne va pas plus loin. Ça ne me dérange pas plus que ça » déclare Carole, 48 ans.

Quelques unes admettent même agir de manière similaire : « Je kiffe mater les beaux mecs, même si je suis en couple ! Mon copain fait pareil avec les bombes, où est le souci ? » s’amuse Camille, 26 ans.

Comment aborder cette problématique en couple ?

Lorsque le « regard masculin » pose problème dans un couple, il est conseillé d’en discuter calmement plutôt que de laisser les tensions s’accumuler. Voici quelques pistes pour aborder le sujet et désamorcer les conflits.

Faire preuve d’empathie

Il est important de comprendre le ressenti de l’autre, même s’il diffère du nôtre. Plutôt que d’attaquer ou de se braquer, mieux vaut faire preuve d’écoute et d’empathie avant d’exprimer son propre point de vue.

Exprimer ses sentiments

Expliquer posément ce que l’on ressent, en utilisant des messages « je », sans accuser l’autre : « Je me sens blessée lorsque je te vois regarder cette femme » plutôt que « Tu n’arrêtes pas de mater cette nana, tu exagères ! »

Fixer des limites claires et respectueuses

Il est possible de demander à l’autre d’éviter certains comportements qui nous heurtent, tout en respectant sa liberté. L’objectif n’est pas de contrôler l’autre, mais de se protéger mutuellement.

S’accorder du temps

Des changements de comportements prennent du temps, surtout lorsqu’ils sont ancrés depuis longtemps. Il faut accepter que le travail se fasse progressivement plutôt que d’exiger un résultat immédiat.

Avec patience et bienveillance, il est possible de créer plus de compréhension mutuelle autour de cette problématique du « male gaze » et de renforcer les liens du couple.

Conclusion

En conclusion, bien que de nombreux hommes jettent des regards sur les femmes autour d’eux, même lorsqu’ils sont en couple, cette tendance au « male gaze » n’est ni systématique chez tous les hommes, ni anodine dans ses conséquences psychologiques pour les femmes.

Ce phénomène reflète des schémas sociétaux profondément ancrés de domination masculine et d’hypersexualisation du corps féminin. Il peut mener à des troubles psychologiques graves chez les femmes qui intériorisent ce regard : manque d’estime de soi, surveillance excessive de leur image, dépression…

La communication dans le couple est essentielle pour aborder ces questions délicates et trouver un équilibre basé sur le respect mutuel. Même si l’attirance visuelle est dans la nature humaine, une prise de conscience collective et individuelle peut aider à lutter contre la culture toxique de l’objectivation.

Références:

  • Becker, A. (2021)
  • Gervais, S.J., et al. (2013). Following in Diana’s footsteps: Women’s objectification in the media.
  • Ward, L.M. (2016). Media and sexualization: State of empirical research, 1995–2015.
  • Calogero, R.M. (2013). Objects Don’t Object: Evidence that Self-Objectification Disrupts Women’s Social Activism.
  • Collins, R. L. (2011). Content analysis of gender roles in media: Where are we now and where should we go?.
  • Corbett, C. et Hill, C. (2012). Sexe typing of children’s toys: A comparative study of Australian and Spanish parents.
  • Cikara, M. et al. (2011). From Agents to Objects: Sexist Attitudes and Neural Responses to Sexualized Targets.
  • Linder, M. et al. (2017). Is the Objectifying Gaze Automatic? Gender Differences in the Relationship Between Body Perception and Regard for Women Versus Men.

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